Bordeaux est dans une situation d’urgence
L’ancien international Bixente Lizarazu, devenu consultant, évoque la situation des Girondins de Bordeaux et revient sur la polémique Dugarry-Triaud.
« Sud Ouest ». Comment qualifieriez-vous le début de saison des Girondins de Bordeaux ?
Bixente Lizarazu. De compliqué… On connaît le statut des Girondins. Il y a un projet à court terme : rester en Ligue 1. Après ça, il y a un projet à moyen terme : le futur stade, censé, comme pour Lyon, donner un coup de « booster » au club. En attendant, ce qui est sûr, c’est que Bordeaux n’est pas à la hauteur de son budget. Il faut avant tout limiter la casse. Ne pas descendre en Ligue 2, parce qu’il ne faut pas déconner, quand même !
Pensez-vous que les Girondins sont vraiment menacés de relégation ?
Ce n’est pas une question de le penser ou de ne pas le penser. Il faut être lucide et voir les choses telles qu’elles sont : ils sont menacés de fait. Cela dit, j’ai connu en tant que joueur la deuxième division avec Bordeaux (pendant la saison 1991-1992, NDLR) et on n’en est pas mort. C’était un vrai combat, mais on est remonté aussitôt, donc on en a gardé un bon souvenir. Même si ce n’était pas évident sur le moment, ça a été une belle école de vie.
Comment expliquez-vous la brutale dégradation des résultats de ce club depuis un peu plus d’un an et demi ?
Il suffit de comparer l’équipe qui a été championne de France en 2009 et celle qui, aujourd’hui, tutoie le fond du classement ! Si je les mets côte à côte, je constate que trop de talents sont partis. Il y avait un grand Chamakh, un grand Gourcuff à l’époque. À un moment donné, il faut des talents et ce n’est pas toujours évident d’en retrouver.
Où se situe selon vous la vraie place des Girondins ?
Dans les six ou sept premiers de Ligue 1. Aujourd’hui, il y a un club en France dont l’économie n’a rien à voir avec celle des autres, c’est le Paris Saint-Germain. Personne ne peut s’aligner sur son modèle économique. Donc Bordeaux ne peut pas avoir l’ambition du PSG. Ni même celle de Lille, qui a construit pierre après pierre un club très costaud, avec des recettes qui me rappellent celle d’Aulas (le président de l’Olympique Lyonnais, NDLR). Les Girondins n’ont rien à voir avec ces clubs-là. J’ai l’impression qu’ils sont plus proches de Rennes.
Un recrutement au mercato d’hiver peut-il sauver une saison ?
Encore faut-il en avoir les moyens. Est-ce que les Girondins les ont ? Est-ce que M6 (propriétaire des Girondins, NDLR) a envie d’investir ? Évidemment, avec les moyens illimités du PSG, quand on peut débourser 80 millions d’euros comme si c’était 100 euros pour le commun des mortels, c’est plus simple. Après, il n’y a pas que ça : à un moment, il y a aussi le mental et la confiance. Bordeaux est dans une situation d’urgence.
Comment avez-vous réagi à l’échange de petites phrases assassines entre votre ancien coéquipier Christophe Dugarry et le président bordelais Jean-Louis Triaud ?
Ça m’a fait sourire. Je connais bien les deux interlocuteurs : ils ont été fidèles à leurs caractères respectifs. Tous les deux aiment bien la provoc’ et ils adorent chambrer. Il y a eu entre eux une forme d’auto-allumage ! Le rôle de Duga, c’est celui d’un consultant : faire des analyses critiques, avec des points positifs et des négatifs et, ce qui est rigolo, c’est que le négatif s’entend souvent plus. Lui, sur un terrain, il démarrait déjà au quart de tour. Et Triaud a fait du bon Triaud, bien chambreur.
Avec Dugarry président des Girondins (comme il l’a « proposé » pendant la polémique), vous auriez été vice-président ?
On ne va pas faire des concours pour savoir si un président ferait un bon consultant, si un consultant ferait un bon président ou si un menuisier ferait un bon maçon ! Consultant, c’est un vrai boulot, ça s’apprend. De la même façon, pour devenir président d’un club de football, Jean-Louis Triaud, qui vient du monde du vin et du rugby, a lui aussi appris et s’est adapté. Tout est possible. Et on peut aussi être un ancien footballeur et devenir un bon président : les plus grands dirigeants que j’ai connus, Karl-Heinz Rummenigge et Uli Hoeness au Bayern Munich, étaient d’anciens joueurs.
À ce sujet, êtes-vous satisfait de votre reconversion dans le monde des médias (une émission sur RTL, une chronique dans « L’Équipe » et un rôle de consultant à TF1) ?
J’ai la chance extraordinaire de m’exprimer dans quelques-uns des médias les plus importants de France. Je jouis d’une grande liberté dans ce que je fais et je m’amuse toujours à le faire, même si tout ça représente une petite charge de travail. Parce que c’est un vrai métier, j’ai le sentiment qu’on ne le dit pas assez.
Comment abordez-vous ce rôle de consultant ?
Pour moi, comme pour Duga, il s’agit de raconter le football avec notre vécu, notre expérience, notre regard. Il faut avoir des prises de position claires et faire des choix. Si c’est pour être tiède, il vaut mieux aller pêcher les crevettes dans la baie de Saint-Jean-de-Luz. C’est aussi un monde où, si l’on ne maîtrise pas sa parole, elle peut nous échapper : regardez la polémique récente sur Yannick Noah. Il nous faut être le plus précis possible. Mais je vis ce métier avec passion : j’ai été champion du monde, champion d’Europe en club et en sélection, je ne garde donc aucune frustration de ma carrière de joueur.
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